Étendue de la caducité des mesures provisoires prononcées au cours d’une procédure de divorce en France à la suite de la reconnaissance d’une décision étrangère de divorce
- heleneperoz
- 28 mai
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Civ. 1, 21 mai 2025, n° 23-17.532
Le 17 janvier 2019, Mme [M] a saisi un juge aux affaires familiales d'une requête en divorce à l'encontre de M. [E].
Une ordonnance de non-conciliation du 17 juin 2019 a autorisé les époux à introduire l'instance en divorce et prévu diverses mesures provisoires. Elle a fixé une pension alimentaire au titre du devoir de secours due par M. [E] à son épouse à la somme de 500 euros par mois, une provision pour frais d'instance due par M. [E] à Mme [M] à 3 000 euros et une contribution à l'entretien et l'éducation des enfants due par M. [E] à la mère à la somme de 650 euros par mois et par enfant.
M. [E] a formé appel de cette décision. Il soulève une fin de non-recevoir tirée de l'autorité et de la force de chose jugée d'un jugement de divorce rendu le 8 avril 2022 par un tribunal américain.
La cour supérieure de Californie a attesté le 30 juin 2022 de l’absence d’appel et du fait que les parties étaient légalement divorcées au 8 avril 2022.
La Cour d’appel après avoir vérifié la régularité internationale du jugement étranger du 8 avril 2022 prononçant le divorce le reconnait de plein droit en France. Elle déclare les parties divorcées
Pour autant, si l’ordonnance de non-conciliation est devenue sans objet à la date du prononcé du jugement de divorce américain soit le 8 avril 2022, la cour d'appel considère que les mesures provisoires relatives au devoir de secours, à la contribution à l'entretien et l'éducation des enfants et à la provision pour frais d'instance avaient vocation à produire effet jusqu'à la date où le jugement étranger a acquis force de chose jugée, soit le 30 juin 2022
Trois questions se posaient dans ce litige.
Qu’en est-il de l’instance en divorce en cours en France à la suite de la décision étrangère de divorce ?
Qu’en est-il des mesures provisoires prononcées au cours de l’instance en France ?
Quelle est la date à retenir quant à la caducité des mesures provisoires prononcées en France ?
Selon le demandeur au pourvoi, c’est l’entièreté de la procédure française qui est caduque, y compris les mesures provisoires prises antérieurement au prononcé de la décision étrangère. Concrètement la caducité a un effet rétroactif.
La Cour de cassation rend une décision d’une grande pédagogie.
Sur l’incidence du jugement étranger de divorce sur une procédure française en cours.
La Cour de cassation affirme tout d’abord que la procédure de divorce engagée en France est privée d'objet et les mesures provisoires ordonnées pour la durée de la procédure deviennent caduques lorsque le divorce a été prononcé à l'étranger par une décision passée en force de chose jugée remplissant les conditions de sa reconnaissance en France
Ainsi un jugement étranger de divorce régulier qui intervient alors qu’une instance en France est pendante, rend sans objet le procédure Française.
La solution est classique
" Les jugements rendus par un tribunal étranger relativement à l'état et à la capacité des personnes, produisent leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, sauf le cas où ces jugements doivent donner lieu à des actes d'exécution matérielle sur les biens, ou de coercition sur les personnes " ( Cass. req., 3 mars 1930, Dame Hainard).
Selon la Cour de cassation : Après avoir retenu la régularité internationale du jugement étranger du 8 avril 2022 prononçant le divorce de Mme [M] et M. [E] et dit qu'en conséquence, celui-ci devait être reconnu de plein droit en France, la cour d'appel a déclaré que, les parties étant divorcées, l'ordonnance de non-conciliation du 17 juin 2019 n'était plus applicable et que certaines de leurs demandes étaient sans objet.
Ainsi, le jugement de divorce américain, dont la régularité est établie, a autorité de la chose jugée en France et rend sans objet la procédure de divorce.
Par conséquent la procédure est caduque.
Quelle est l’entendue de cette caducité. Remet-elle en cause les mesures provisoires prononcées en France ?
Selon l'avis de l'avocat général
« Une partie des auteurs de doctrine n’évoquent pas la force de chose jugée comme condition de la reconnaissance d’un jugement étranger, se focalisant sur les conditions de régularité internationale, à l’instar des arrêts Munzer puis Cornelissen. Ou bien ils évoquent précisément la jurisprudence dégagée en matière de divorce. Certains encore mentionnent uniquement le fait que le jugement étranger devrait être doté de « l’autorité de la chose jugée » et que c’est le droit étranger qui détermine la date à laquelle le jugement étranger acquiert cette autorité et produit donc son effet d’obstacle à une procédure nouvelle »
L'avocat général se pose les questions suivantes :
Si la privation d’effet de l’ordonnance de non-conciliation s’impose, cette privation d’effets ne doit-elle jouer que pour l’avenir (postérieurement à la reconnaissance du jugement étranger de divorce), ou doit-elle être rétroactive ?
La Cour de cassation retient que sauf disposition contraire, la caducité d'un titre exécutoire ne le prive pas de son efficacité pour la période antérieure à la caducité.
La dernière question à résoudre est de savoir à quelle date doit-on affecter la procédure française de caducité : est-ce à la date du prononcé du jugement ou est-ce à la date où il est passé en force de chose jugée ?
L'avocat général s’interroge en cas de caducité de la procédure française si celle-ci se limite à la date à laquelle le jugement étranger a été prononcé ou a acquis force de chose jugée, ou bien produit-elle ses effets ab initio, en anéantissant dès l’origine les mesures provisoires ?
Sur la distinction autorité de la chose jugée et efficacité du jugement étranger : voir le rapport du conseiller
Selon la Cour de cassation, la caducité affectant les mesures provisoires prises en application de l'article 255 du code civil à raison de la reconnaissance d'un jugement étranger de divorce ne les prive d'efficacité qu'à compter de la date à laquelle cette décision est passée en force de chose jugée.
Ainsi, les mesures provisoires prononcées antérieurement à la reconnaissance du jugement de divorce étranger avaient vocation à produire leurs effets jusqu’au passage en force de chose jugée de la décision étrangère.
Concrètement, les mesures provisoires prononcées le 17 juin 2019 par l’ordonnance de non-conciliation produisaient leurs effets jusqu’au 30 juin 2022 jour où le jugement américain a acquis force de chose jugée, et non pas au jour du prononcé de ce divorce en date du 8 avril 2022.
Selon la Cour de cassation, la cour d'appel a pu en déduire que la juridiction française fût-elle première saisie, le jugement de divorce du 08 avril 2022 prononcé par le juge du Massachusetts devait être reconnu en France, la procédure française devenant sans objet. Cependant les mesures provisoires prononcées par le juge français ne devaient caduques qu’à la date du passage en force de chose jugée du jugement américaine estimée au 30 juin 2022.
La cour de cassation fait donc application de l'article 260-2° du Code civil selon lequel le mariage est dissous : Par la décision qui prononce le divorce, à la date à laquelle elle prend force de chose jugée.
Reste à savoir si on devait appliquer la règle de droit française à la caducité de la procédure française où la loi américaine qui définit l'étendue et les effets de la décision américaine ?
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