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Droit international privé

Actualité, Analyse et commentaire proposés par

Hélène Péroz

Professeure agrégée en droit privé et sciences criminelles à la faculté de droit de l'Université de Nantes

Of counsel  dans le cabinet d'avocats BMP et associés

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Photo du rédacteurheleneperoz

Application d'office de la loi applicable aux actes de concurrence déloyale

lCiv. 1, 26 mai 2021 (19-15.102)



Le groupe SEB ayant repris les actifs de la société Moulinex, ont défini le cadre dans lequel se poursuivrait la relation commerciale avec les sociétés égyptiennes Misr Intercommerce (la société Intercommerce) et Blendex Egypt (la société Blendex), filiales du groupe Bouri, ayant toutes deux pour activité le négoce, la fabrication, l’importation et la distribution d’équipements domestiques et électroménagers.


Le Groupe SEB-Moulinex a concédé la société Intercommerce la représentation et la distribution exclusive des produits finis électroménagers de la marque Moulinex sur le territoire égyptien et la société Blendex, pour le même territoire, premièrement, une licence d’exploitation exclusive des marques internationales Moulinex, deuxièmement, une licence de fabrication de certains produits, troisièmement, un prêt de moules et la fourniture de produits et composants nécessaires la fabrication des appareils portant la marque Moulinex.


Un différend ayant opposé les parties lors de la cessation de leurs relations contractuelles, le groupe SEB a assigné les sociétés Intercommerce et Blendex en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies.


Le groupe SEB a assigné en intervention forcée la société Mienta France, en lui reprochant de fabriquer elle-même et de faire fabriquer par la société Blendex, sous la marque Mienta, des articles de petit électroménager présentant avec les siens des similarités ayant pour objet ou pour effet de créer dans l’esprit du public une confusion dommageable ses propres produits, et de les commercialiser sur le marché égyptien, par elle-même, ou dans les « Bouri Center », ou encore, par l’intermédiaire de la société Intercommerce.


Invoquant des faits de concurrence déloyale et de parasitisme, le groupe SEB a demandé, sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240, du code civil, la condamnation in solidum des sociétés Mienta France, Intercommerce et Bendex lui payer des dommages-intérêts et cesser la fabrication et la commercialisation des produits litigieux.


Se posait la question de la loi applicable aux actes de parasitismes et de concurrence déloyale.


La Cour d'appel de Paris condamne les sociétés égyptiennes à payer des dommages-intérêts au groupe SEB en application du droit français en ce qu'elles ont commis des actes de parasitisme et de concurrence déloyale.


La Cour de cassation casse la décision de la Cour d'appel au visa de l'article 6 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »), l’article 12 du code de procédure civile et les principes de primauté et d’effectivité du droit de l’Union européenne.


Elle reproche à la Cour d'appel de n'avoir pas recherché d'office la loi applicable aux actes de concurrences déloyales.


La Cour de cassation raisonne en plusieurs temps.


Elle considère que lorsque les faits dont le juge est saisi le justifient, de faire application des règles d’ordre public issues du droit de l’Union européenne, telle une règle de conflit de lois lorsqu’il est interdit d’y déroger, même si les parties ne les ont pas invoquées.


Elle se fonde ensuite sur l'article 6 du Règlement n°864/2007 Rome II qui dispose :


« 1. La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un acte de concurrence déloyale est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l’être.

2. Lorsqu’un acte de concurrence déloyale affecte exclusivement les intérêts d’un concurrent déterminé, l’article 4 est applicable

(...)

4. Il ne peut être dérogé à la loi applicable en vertu du présent article par un accord tel que mentionné à l’article 14. »


Elle déduit de ces textes que le juge devait d'office appliquer les dispositions impératives de l’article 6 du règlement « Rome II » pour déterminer la loi applicable au litige.


Quelle est la portée de cet arrêt ?


L'article 6 -4 du règlement Rome II exclut la possibilité aux parties de choisir la loi applicable aux obligations non contractuelles résultant d'un acte de concurrence déloyale. Cet article ne fait qu'exclure l'autonomie de la volonté en la matière comme le prévoit l'article 14 du Règlement Rome II. Ainsi l'article 6 est impératif au sens où les parties ne peuvent pas y déroger par une clause de choix de loi applicable.


Or, en l'espèce les parties n'ont pas choisie la loi applicable aux actes de concurrence déloyale.


Peut on considérer que les parties par un accord procédural ont renoncé à la règle de conflit de lois pour se placer sur le fondement de la loi française ? La renonciation à l'application de la règle de conflit de lois a été admis par la Cour de cassation (notamment Soc.Hannover, Civ.1, 6 mai 1997) lorsque les parties ont la libre disposition de leur droit. Il est indiqué dans l'arrêt que les parties n'ont pas invoqué la règle de conflit de lois, or la renonciation peut être implicite et résulter de l'échange de conclusions de parties se fondant sur la loi française. La Cour de cassation semble exclure cette possibilité.


Selon la jurisprudence actuelle, l'office du juge en matière de conflit de lois dépend de la seule libre disponibilité de droits. La jurisprudence est fixée après de longues années d'indétermination. Le juge doit appliquer d'office la règle de conflit lorsque les droits des parties sont indisponibles, il le peut si les droits sont disponibles (Soc. Mutuelles du Mans, Civ. 1, 26 mai 1999)


Or, la responsabilité extra-contractuelle ne relève pas des droit disponibles et la Cour de cassation ne tient plus compte de la source supra nationale de la règle de conflits de lois comme elle a pu le faire avec l'arrêt Coveco (Civ. 1, 4 décembre 1990).


On peut interpréter la décision de la Cour de cassation comme imposant l'application d'office de la règle de conflit de lois d'origine européenne dès lors que l'autonomie de la volonté est exclue. L'exclusion de l'autonomie de la volonté serait alors synonyme d'absence de libre disposition des droits. Or, force est de constater que peu de règles de conflit de droit européen excluent l'autonomie de la volonté puisque celle-ci s'applique à différents degrés même en matière de divorce ou de succession.


Cependant, la Cour de cassation semble aller plus loin. Elle vise non seulement l'article 6 du Règlement Rome II mais également l'article 12 du Code de procédure civile ainsi que les principes de primauté et d'effectivité du droit de l'Union européenne.


Le juge saisit aurait-il alors l'obligation d'appliquer d'office une règle de conflit issue du droit européen ?


Est-ce que toutes les règles de conflit de lois issues de règlement européen échapperaient à la jurisprudence française et devraient s'appliquer même d'office en raison de la primauté du droit européen ?


La question s'est posée il y a quelques jours lors d'un colloque de la Cour de cassation sur l'office du juge et la règle de conflit de lois (Cycle "Penser l’office du juge", notamment l'intervention de Lukas RASS-MASSON : https://www.courdecassation.fr/venements_23/colloques_4/colloques_videos_6111/magistrature_professions_juridiques_8618/cycle_penser_office_juge_10062/regle_conflit_470


Ainsi, on ne distinguerait plus selon que les parties aient ou non la libre disposition de leur droit. Dès lors que la règle de conflit de lois est d'origine européenne, la juge devrait l'appliquer d'office.


La portée de cet arrêt est encore incertaine.

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