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Droit international privé

Actualité, Analyse et commentaire proposés par

Hélène Péroz

Professeure agrégée en droit privé et sciences criminelles à la faculté de droit de l'Université de Nantes

Of counsel  dans le cabinet d'avocats BMP et associés

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  • Photo du rédacteurheleneperoz

Autorité de la chose jugée d'une ordonnance de non-conciliation caduque et demande d'exequatur.


Civ. 1, 17 novembre 2021, n°P 20-20.746



M. [D] et Mme [P] se sont mariés le 7 janvier 1989 à Meknès (Maroc). Par un jugement du 17 juin 2010, confirmé par un arrêt du 17 mai 2011 devenu irrévocable, le juge marocain, saisi par M. [D], a prononcé le divorce des époux.


Le juge aux affaires familiales, saisi en second par Mme [P], a rejeté l'exception de litispendance par une ordonnance du 22 octobre 2009 au motif qu'en application de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981, la juridiction française était seule compétente.


Faute d'assignation dans les délais impartis par l'article 1113 du code de procédure civile, l'ordonnance de non-conciliation est devenue caduque.


M. [D] a sollicité l'exequatur de la décision marocaine.


Les juges du fond déclarent irrecevable la demande en exequatur.


M. D forme un pourvoi en cassation.


Deux questions devaient être résolues. Tout d'abord la décision française d'ordonnance de non conciliation devenue caduque a-t-elle une autorité de la chose jugée ?

Si tel est le cas, le rejet de l’exception de litispendance rendait elle irrecevable la demande en exequatur de la décision marocaine ?


Dans un premier temps, la Cour de cassation dispose que "La caducité de l'ordonnance de non-conciliation (...) affecte les mesures provisoires fixées par cette ordonnance, ainsi que l'autorisation d'introduire l'instance, mais ne s'étend pas aux dispositions sur la compétence internationale du juge français, lesquelles, édictées préalablement à la tentative de conciliation, présentent un caractère autonome et sont revêtues de l'autorité de la chose jugée"


Ainsi, même si l'ordonnance de non-conciliation est caduque, la décision sur la compétence du juge français ne l'est pas. Cette dernière est donc une décision autonome et n'est pas touchée par la caducité de l'ordonnance. Il en résulte que la décision du 22 octobre 2009 quant à la compétence exclusive du juge français concernant le divorce des époux avait autorité de la chose jugée.


Dans un deuxième temps, la Cour de cassation répond sur l'irrecevabilité de la demande en exequatur. Elle considère que "le rejet de l'exception de litispendance soulevée par M. [D] au motif que (...) la juridiction française était seule compétente (...) rendait irrecevable la demande d'exequatur de la décision de divorce prononcée par les juridictions marocaines".


Reprenons chronologiquement l'affaire et essayons de reconstituer le raisonnement.


Monsieur demande le divorce au Maroc.


Madame saisi alors le juge français d'une demande en divorce durant laquelle Monsieur soulève l'exception de litispendance, le juge marocain ayant été saisi en premier.


Le Juge français applique la convention Franco marocaine relative au statut des personnes et de la famille et de la coopération judiciaire en date du 10 août 1981 (https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/Convention_Maroc.pdf ).


Cette dernière prévoit dans son article 10 que "Si une action judiciaire a été introduite devant une juridiction de l'un des deux Etats, et si une nouvelle action entre les mêmes parties et ayant le même objet est portée devant le tribunal de l'autre Etat, la juridiction saisie en second lieu doit surseoir à statuer".


Le juge français était saisi en second. Il devait donc sursoir à statuer. Or, pour admettre une exception de litispendance internationale, encore faut-il que la décision à intervenir à l'étranger remplisse les conditions de régularité internationale.


Le juge français saisit en second devait donc vérifier si la décision à intervenir au Maroc allait être régulière. L'article 11 de la convention Franco-marocaine de 1981 renvoie alors à l’article 16 a de la convention franco-marocaine Convention d'aide mutuelle judiciaire


Ce dernier prévoit que "en matière civile et commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant au Maroc ou en France ont de plein droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre pays, si elles réunissent les conditions suivantes :

a) La décision émane d'une juridiction compétente selon les règles de droit international privé admises dans le pays où la décision est exécutée, sauf renonciation certaine de l'intéressé"


Ainsi la compétence du juge saisi est une condition de régularité internationale de la décision étrangère.


Or, selon la convention de 1981, la juridiction compétente en matière de divorce est celle du domicile commun des époux. Il est à noter, que la convention prévoit une option de compétence au bénéfice des juridictions de la nationalité commune des époux (art. 11).


Nous n'avons pas assez d'éléments factuels en l'espèce pour apprécier la compétence du juge marocain. Quoi qu'il en soit, le juge français saisit en second a considéré que la juridiction française était seule compétente concernant le divorce. Elle en a donc déduit l'incompétence du juge marocain et donc l'irrégularité de la décision marocaine à intervenir pour rejeter l’exception de litispendance.


Le divorce est prononcé au Maroc alors que l'ordonnance de non conciliation devient caduque en France.


Monsieur demande alors en France l'exequatur de la décision marocaine de divorce.


Pour accorder l'exequatur, il faut que la décision étrangère remplisse les conditions de régularité internationale.


Or l'irrégularité de la décision a déjà été constatée par le juge français lorsqu'il a rejeté l'exception de litispendance fondée sur la seule compétence du juge français et donc sur l'incompétence du juge marocain.


Il restait donc à connaitre l'étendue de la caducité de l'ordonnance de non-conciliation. La Cour de cassation dispose que cette caducité ne s'étend pas aux dispositions sur la compétence internationale du juge français. La question de la compétence du juge français (et donc de l'incompétence du juge marocain) a autorité de la chose jugée et ne peut plus être remise en cause.


Ainsi, la décision du juge français aux affaires familiales concernant la compétence a constaté l'absence de régularité de la décision marocaine (même s'il s'agissait de la décision à intervenir) lorsqu’elle a rejeté l'exception de litispendance.


On peut alors comprendre la décision de la Cour de cassation lorsqu'elle énonce que l'ordonnance du juge français qui avait rejeté l'exception de litispendance au motif qu'en application de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981, la juridiction française était seule compétente rendait irrecevable la demande d'exequatur de la décision de divorce prononcée par les juridictions marocaines.


Nous pouvons supposer que c'est ce raisonnement qui a été suivi par la Cour de cassation, reste qu'il aurait été bienvenu que la Haute juridiction soit plus explicite dans cette affaire.



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