Civ. 1, 15 juin 2022, n° G 18-24.850
Cet arrêt de la Cour de cassation est rendu suite à une question préjudicielle dont elle avait saisi la Cour de justice de l'Union européenne sur interprétation de l'article 7-2 du Règlement (UE) n° 1215/2012 Bruxelles I bis que nous avions analysé.
Reprenons les faits;
Une Société Tchèque produit et diffuse, notamment au moyen de son site Internet, des contenus audiovisuels pour adultes.
DR, domicilié en Hongrie, est un réalisateur, producteur et distributeur de films du même genre qui sont commercialisés sur des sites Internet hébergés en Hongrie.
La Société Tchèque fait grief à DR d’avoir tenu des propos dénigrants à son égard, que ce dernier aurait diffusés sur plusieurs sites et forums Internet.
La société assigne DR en référé devant les juridictions françaises notamment pour le faire condamner sous astreinte à cesser tout acte de dénigrement en rectifiant et supprimant les données et obtenir le paiement, à titre provisionnel, d’un euro symbolique en réparation de son préjudice économique et d’une somme de même montant en réparation de son préjudice moral.
La difficulté était de savoir si les tribunaux français étaient compétents alors que le demandeur demandait à la fois la rectification et suppression des contenus ET la réparation des préjudices.
La Cour de justice reconnait la compétence des juridictions de l'Etat membre saisi de la demande en réparation alors même qu'elles ne seraient pas compétentes pour connaître de la demande de rectification et de suppression.
Forte de l’interprétation de la Cour de justice, la Cour de cassation a pu statuer sur cette affaire.
Il fallait donc maintenant déterminer la compétence des juridictions françaises pour la demande en réparation suite à des propos dénigrants postés sur Internet par une personne domicilié en Hongrie à l'encontre d'une société Tchèque.
Selon le règlement de Bruxelles I bis, sont compétentes les juridicitions du domicile de défendeur, en l'espèce la Hongrie.
Mais le demandeur bénéficie d'une option de compétence en matière délictuelle.
Selon l'article 7-2 du Règlement n°1215/2012 Bruxelles I bis
Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.
La Cour d'appel accueille l'exception d'incompétence internationale qui avait été soulevée. Selon elle, les tribunaux français ne sont pas compétents. Elle considère en effet que qu'il ne suffit pas, pour que les juridictions françaises soient compétentes, que les propos dénigrants postés sur internet soient accessibles en France, mais qu'il faut encore qu'ils soient destinés à un public français.
La Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel. Elle considère que les messages litigieux étaient accessibles en France, il en résulte que les juridictions françaises étaient compétentes pour connaître des demandes d'indemnisation des préjudices causés en France.
Classiquement, la Cour de cassation précise bien que les juridictions françaises sont en l'espèce compétentes pour le seul dommage subit en France. C'est l'application de la jurisprudence Fiona Shevill (CJCE 7 mars 1985) en matière de diffamation internationale par voie de presse.
La CJCE avait eu l'occasion de préciser que "L'expression "lieu où le fait dommageable s'est produit", (...) doit, en cas de diffamation au moyen d'un article de presse diffusé dans plusieurs États contractants, être interprétée en ce sens que la victime peut intenter contre l'éditeur une action en réparation soit devant les juridictions de l'État contractant du lieu d'établissement de l'éditeur de la publication diffamatoire, compétentes pour réparer l'intégralité des dommages résultant de la diffamation, soit devant les juridictions de chaque État contractant dans lequel la publication a été diffusée et où la victime prétend avoir subi une atteinte à sa réputation, compétentes pour connaître des seuls dommages causés dans l'État de la juridiction saisie".
La Cour de justice a adapté les critères de compétence lorsque les contenus diffamatoires sont mis en ligne sur un site Internet en ajoutant un troisième chef de compétence.
CJCE 25 octobre 2011, aff. C-509/09 et C-161/10 (Semaine Juridique Edition Générale n° 1-2, 9 Janvier 2012, 28)
"en cas d'atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site Internet, la personne qui s'estime lésée a la faculté de saisir d'une action en responsabilité, au titre de l'intégralité du dommage causé, soit les juridictions de l'État membre du lieu d'établissement de l'émetteur de ces contenus, soit les juridictions de l'État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts. Cette personne peut également, en lieu et place d'une action en responsabilité au titre de l'intégralité du dommage causé, introduire son action devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l'a été. Celles-ci sont compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l'État membre de la juridiction saisie.
Enfin, il faut souligner que la première chambre civile consacre la thèse de l'accessibilité, les tribunaux français sont compétents dès lors que le site est accessible en France et semble mettre fin à certaines décisions qui retenaient, comme l'a fait la Cour d'appel en l'espèce, la compétence des juridictions françaises si la diffusion effective sur internet était destinée à un public français.
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