Civ. 1, 30 novembre 2022, n°N 21-15.988
Décidément, la notion de résidence habituelle dans l'application des règlements européens suscite un important contentieux.
Deux personnes de nationalité Belge se sont mariées en Belgique en 1982.
En 2020, madame assigne en divorce son époux devant les juridictions françaises qui se considèrent compétentes.
L'époux conteste la compétence des juridictions françaises.
S'appliquait en l'espèce le Règlement n°2201/2003 du 27 novembre 2003 dit Bruxelles II bis. La solution serait identique avec l'application du Règlement n°2019/1111 dit Bruxelles II ter applicable depuis le 1er août 2022.
L'article 3 du Règlement Bruxelles II bis prévoit des options de compétences en matière de divorce au choix du demandeur.
Plus particulièrement l'article 3-1-a prévoit que
Sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l'annulation du mariage des époux, les juridictions de l'État membre:
a) sur le territoire duquel se trouve:
- la résidence habituelle des époux
C'est justement sur la notion de résidence habituelle des époux que le débat a lieu. Les juridictions françaises considèrent que la résidence habituelle des époux est en France alors que l'époux considère que la résidence habituelle des époux est en Belgique.
Les époux ont longtemps résidé à l'étranger en raison de l'activité professionnelle de Monsieur, Ils sont propriétaires en Belgique d'une maison occupée par leur fille aînée depuis 2013, et d'une villa en France louée jusque fin 2017.
En mai 2018 les époux sont revenus en Europe. Ils résidaient tantôt en France, tantôt en Belgique.
La Cour de justice a eu l'occasion d'affirmer qu'un époux qui partage sa vie entre deux États membres ne peut avoir sa résidence habituelle que dans un seul de ces États membres (CJUE 25 novembre 2021, affaire C‑289/20 et notre analyse : https://www.hélènepéroz.fr/post/bruxelles-ii-bis-notion-de-r%C3%A9sidence-habituelle-de-l-%C3%A9poux).
Dans cet arrêt, cité par la Cour de cassation dans notre espèce, la CJUE a précisé que la notion de«résidence habituelle» est caractérisée,en principe, par deux éléments, à savoir, d’une part, la volonté de l’intéressé de fixer le centre habituel de ses intérêts dans un lieu déterminé et, d’autre part, une présence revêtant un degré suffisant de stabilité sur le territoire de l’État membre concerné(57).
Bien évidement, la question de la détermination de la résidence habituelle des époux relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
En l'espèce, la Cour d'appel relève bien que les époux faisaient de courts séjours réguliers en Belgique où ils avaient conservé des intérêts administratifs et financiers. Pour autant, elle constate que la villa en France, d'abord assurée en tant que résidence secondaire, était désormais assurée sans précision particulière, que le couple y avait entrepris divers travaux d'entretien et de réparation, et effectuaient la quasi-totalité de leurs dépenses courantes en France, où ils avaient développé un réseau relationnel et amical.
Elle en déduit donc qu'à partir du mois de juin 2018, les époux ont eu la volonté de fixer en France le centre habituel de leurs intérêts en y menant une vie sociale suffisamment stable, de sorte que leur résidence habituelle se trouvait en France.
Le mari forme un pourvoi en cassation. Certains de ses arguments sont pertinents. Il considère que le centre permanent ou habituel des intérêts vise tous les intérêts des époux, sans nécessairement faire prévaloir leurs activités de la vie courante et de loisirs. L'époux énonce alors une liste à la Prévert démontrant les liens administratifs et financiers que le couple avait en Belgique.
Comment déterminer le centre habituel des intérêts du couple ? Comme l'a retenu la CJUE dans l'arrêt précité : l’environnement d’un adulte est de nature nécessairement plus variée (par rapport à un enfant), composé d’un spectre d’activités sensiblement plus vaste et d’intérêts, notamment professionnels, socioculturels, patrimoniaux ainsi que d’ordre privé et familial, diversifiés.
La Cour de cassation rejette le pourvoi et considère que la Cour d'appel, par une appréciation souveraine, a légalement justifié sa décision déclarant le juge français compétent pour connaître de l'instance en divorce.
Elle considère enfin qu'en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, ce qu'on peut regretter.
On peut noter que la nationalité Belge des époux n'est pas un critère qui a été soulevé, pas plus que le lieu de résidence de la famille proche comme cela a été le cas pour déterminer la résidence habituelle du défunt dans le cadre du Règlement européen succession (Civ. 1, 29 mai 2019 (18-13.383))
Reste que la notion de résidence dans les règlements européens suscite et suscitera encore de nombreux contentieux
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