Civ. 1, 26 janvier 2022, n°20-21.542
M. [E], de nationalités russe et mexicaine, et Mme [M], de nationalité russe, se sont mariés en Russie le 19 avril 1996, sans contrat de mariage préalable. Les époux ont fixé leur première résidence habituelle commune en Russie. Par acte authentique du 22 février 2016, ils ont adopté le régime français de la séparation de biens à l'égard de leurs biens situés en France et ont fait choix de la loi française en cas de divorce.
Le 11 septembre 2017, Mme [M] a déposé une requête en divorce.
La Cour d'appel applique la loi française au divorce et au régime matrimonial des époux.
Sur la loi applicable au divorce :
Selon l'article 5 du Règlement (UE) n°1259/2010 dit Rome III :
« 1. Les époux peuvent convenir de désigner la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, pour autant qu'il s'agisse de l'une des lois suivantes :
a) la loi de l'État de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou
b) la loi de l'État de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que l'un d'eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention ; ou
c) la loi de l'État de la nationalité de l'un des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou
d) la loi du for. »
Force est de constater qu'au moment de la désignation, les époux étaient domiciliés en Russie et aucun n'avait la nationalité française.
Ainsi la loi française choisie dans l'acte notarié français ne pouvait être désignée qu'en tant que loi du for.
Il restait donc à déterminer le moment d'appréciation du for. Le for s'apprécie-t-il au moment du choix de la loi ou au moment de la saisine du juge ?
Selon le pourvoi, le choix de la « loi du for » ne peut s'entendre que de la volonté des époux de soumettre le divorce à la loi de l'Etat du juge compétent pour connaître du divorce, au jour de ce choix, de manière à lier la compétence du juge et la loi applicable au fond. Ainsi il se place au moment du choix des époux.
Selon la Cour de cassation, lorsque des époux, dont la situation présente un élément d'extranéité, désignent, dans une convention de choix de la loi applicable au divorce, la loi d'un Etat déterminé, qui n'est pas l'une de celles qu'énumèrent les points a) à c), ce choix est valide, au titre du point d), lorsqu'elle est celle du juge qui a été ultérieurement saisi de la demande en divorce.
Ainsi l'appréciation du for se fait au moment de la saisine du juge. En l'espèce, la loi française choisie par les époux était applicable en tant que loi de la juridiction saisie de la demande en divorce.
Sur la loi applicable au régime matrimonial :
Selon le dispositif de la cour d'appel la loi française était applicable à la détermination et à la liquidation du régime matrimonial, alors que dans ses motifs elle relève que la loi russe est applicable pour tous les biens et droits immobiliers situés en Russie et la loi française sur la séparation des biens pour tous les biens meubles et immeubles, droits immobiliers et revenus situés en France.
Les époux se sont mariés en Russie en 1996, soit après l'entrée en vigueur de la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable au régime matrimonial.
Ils n'ont pas choisi de loi applicable à leur régime au moment du mariage.
Selon l'article 4 de la convention :
Si les époux n'ont pas, avant le mariage, désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, celui-ci est soumis à la loi interne de l'Etat sur le territoire duquel ils établissent leur première résidence habituelle après le mariage.
La loi Russe était donc applicable à leur régime matrimonial.
Pour autant, par un acte notarié français, ils désignent la loi française, et spécialement la séparation de biens pour les seuls biens situés en France.
Selon l'article 6 de la convention :
Les époux peuvent, au cours du mariage, soumettre leur régime matrimonial à une loi interne autre que celle jusqu'alors applicable.
Les époux ne peuvent désigner que l'une des lois suivantes :
1. la loi d'un Etat dont l'un des époux a la nationalité au moment de cette désignation ; 2. la loi de l'Etat sur le territoire duquel l'un des époux a sa résidence habituelle au moment de cette désignation.
La loi ainsi désignée s'applique à l'ensemble de leurs biens.
Toutefois, que les époux aient ou non procédé à la désignation prévue par les alinéas précédents ou par l'article 3, ils peuvent désigner, en ce qui concerne les immeubles ou certains d'entre eux, la loi du lieu où ces immeubles sont situés. Ils peuvent également prévoir que les immeubles qui seront acquis par la suite seront soumis à la loi du lieu de leur situation.
La convention de La Haye permet donc aux époux de changer de loi au cours de leur mariage et de limité ce choix à certains biens.
La Cour de cassation relève donc une contrariété entre le dispositif et les motifs de la Cour d'appel qu'elle sanctionne.
Il faut souligner que la loi française n'est applicable qu'aux seuls immeubles situés en France, le reste des biens mobiliers et immobiliers relevant de la loi Russe.
La Cour d'appel encourrait également la cassation par ses seuls motifs. En effet, elle relève l'application de la loi française pour tous les biens meubles et immeubles, droits immobiliers et revenus situés en France.
C'est une lecture erroné de l'article 6 de la Convention de La Haye. Le choix de la lex rei sitae ne concerne que les seuls immeubles. En aucun cas la loi française ne pouvait s'appliquer aux biens mobiliers et revenus situés en France qui en l'espèce relèvent de la loi russe applicable au régime matrimonial.
Il est heureux que le Règlement (UE) 2016/1103 applicable aux régimes matrimoniaux ait supprimé la possibilité aux époux de choisir la lex rei sitae entrainement un morcellement du régime matrimonial. Le Règlement permet l'application d'une loi unique au régime matrimonial quelle que soit la nature des biens ou leur situation.
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