Civ. 1, 13 avril 2023, n° 22-12.965.
Pour la réalisation d'un ouvrage commandé par les consorts L, la société française Agora a conclu avec la société italienne SPA Italiana Lastre (SIL) un contrat portant sur la fourniture de panneaux de bardage et stipulant : « La compétence du tribunal de Brescia s'appliquera à tout litige qui surgirait du présent contrat ou qui aurait un rapport avec ce dernier. La Societa Italiana Lastre se réserve la faculté de procéder à l'égard de l'acheteur devant un autre tribunal compétent en Italie ou à l'étranger. ».
Par la suite, les consorts L, invoquant des désordres, ont assigné en responsabilité et indemnisation l'ensemble des locateurs d'ouvrages, ainsi que le fournisseur des panneaux devant les juridictions françaises.
La société SIL soulève une exception d'incompétence internationale à l'encontre de la demande de garantie de la société Agora.
La cour d'appel rejette l'exception d'incompétence au motif que la clause donnait un choix discrétionnaire à la société SIL et était donc illicite. En effet, la clause donnait à la société SIL un plus grand choix de juridictions à saisir qu'à la société Agora sans préciser les éléments objectifs sur lesquels les parties s'étaient mises d'accord pour identifier la juridiction qui pourrait être saisie.
La Société SIL forme un pourvoi en cassation. Elle considère que la clause attributive de compétence litigieuse devait être appréciée au regard du droit italien et non du droit français. Elle considère alors que la cour d'appel a violé l'article 25 § 1 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (Bruxelles I bis).
L’article 25§1 du règlement Bruxelles I bis prévoit que :
« Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties ».
La question est de savoir selon quelle règle étudier l’illicéité liée au déséquilibre d’une clause attributive de juridiction asymétrique.
La Cour de cassation rappelle les règles applicables.
Sous l’empire de la convention de Bruxelles de 1968 (à laquelle se sont substitués le règlement de Bruxelles I, puis le règlement de Bruxelles I bis), la Cour de Justice de l'Union européenne (CJCE, 9 novembre 2000, C-387/98, Coreck Maritime) a précisé que l'article 17, premier alinéa (25 de Bruxelles I bis), doit être interprété, en ce qu'il n'exige pas qu'une clause attributive de juridiction soit formulée de telle façon qu'il soit possible d'identifier la juridiction compétente par son seul libellé, qu'il suffit que la clause identifie les éléments objectifs sur lesquels les parties se sont mises d'accord pour choisir le tribunal ou les tribunaux auxquels elles entendent soumettre leurs différends nés ou à naître.
La Cour de cassation, prudemment et raisonnablement, saisit la cour de justice d’un renvoi préjudiciel en interprétation.
En effet, 'article 25, § 1, introduit un renvoi au droit de l'Etat membre de la juridiction désignée pour apprécier la validité de la clause attributive de juridiction « quant au fond ».
Cette règle pose des difficultés spécifiques face à une clause attributive de juridiction asymétrique. En effet, la clause attributive de juridiction asymétrique offre à l'une seulement des parties la possibilité d'opter pour une juridiction de son choix, compétente selon les règles de droit commun, autre que celle mentionnée par cette même clause.
Selon quelle règle apprécier alors la licéité liée au déséquilibre de la clause attributive de juridiction asymétrique ?
Le caractère déséquilibré d’une clause attributive de juridiction asymétrique doit elle être appréciée au regard de règles autonomes tirées de l'article 25, § 1 ou selon la loi d’un Etat membre ?
Si la licéité de la clause de juridiction asymétrique relève d’une règle autonome tirée de l’article 25 §1, : ce dernier doit-il être interprété en ce sens qu'une clause qui n'autorise une partie à saisir qu'un seul tribunal, alors qu'elle permet à l'autre de saisir, outre ce tribunal, toute autre juridiction compétente selon le droit commun doit ou ne doit pas recevoir application ?
Si la licéité de la clause de juridiction asymétrique relève d'une condition de fond et donc de la loi d’un Etat membre, de nombreuses questions se posent.
Comment faut-il interpréter le renvoi au droit de l'Etat de la juridiction désignée lorsque plusieurs juridictions sont désignées par la clause, ou lorsque la clause désigne une juridiction tout en laissant une option à l'une des parties pour choisir une autre juridiction et que ce choix n'a pas été encore opéré au jour où le juge est saisi :
- la loi nationale applicable est-elle celle de la seule juridiction explicitement désignée, peu important que d'autres puissent également être saisies ?
- en présence d'une pluralité de juridictions désignées, est-il possible de se référer au droit de la juridiction effectivement saisie ?
- enfin, eu égard au considérant n° 20 du règlement Bruxelles I bis, faut-il comprendre que le renvoi au droit de la juridiction de l'Etat membre désigné s'entend des règles matérielles de cet Etat ou de ses règles de conflit de lois ? Concrètement, doit-on appliquer ou non le renvoi ?
Voici de belles questions dont on attend les réponses.
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