Civ. 1, 14 octobre 2020, n°19-11.585
M. M... et Mme A... se sont mariés religieusement en Irlande en 1997. Le couple a procédé à l’acquisition de plusieurs biens situés en France et s’est séparé en 2008. Le 23 juillet 2009, M. M... a assigné Mme A... devant le tribunal de grande instance de Nice en paiement d’une certaine somme, sur le fondement de l’indivision ayant existé entre eux du fait de leur vie commune.
Parallèlement, en 2013, Mme A... a engagé une procédure de divorce en Irlande. Par jugement du 8 mars 2016, le tribunal de grande instance de Nice a constaté que M. M... et Mme A... étaient mariés au regard du droit irlandais et qu’une procédure de divorce était pendante devant la High Court Family Law d’Irlande du Nord. Il s’est déclaré incompétent pour connaître du litige et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir. Le 5 février 2018, la juridiction irlandaise s’est déclarée compétente pour connaître du divorce des parties.
La Cour d'appel d'Aix en Provence confirme le jugement. Pour accueillir l’exception d’incompétence au profit des juridictions irlandaises, l’arrêt fait application du règlement (CE) n° 2201/2003 dit Bruxelles II bis.
Un pourvoi est formé par M. M...
Se posait la question de savoir si les juridictions françaises étaient compétentes pour la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux en cours de divorce et sur quel fondement.
La Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence.
La Haute juridiction motive sa décision en application de trois textes.
Tout d'abord, elle vise le règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit Bruxelles II bis, sur lequel s'est fondé la Cour d'appel. Elle affirme que ce texte n'est pas applicable en l'espèce.
En effet, si les époux étaient bien en cours de divorce en Irlande, le domaine matériel du Règlement (CE) n°2201-2003 concerne uniquement la rupture du lien matrimonial et en aucun cas le liquidation des intérêts patrimoniaux des époux.
Le considérant 8 du Règlement Bruxelles II bis est très clair :
"En ce qui concerne les décisions de divorce, de séparation de corps ou d’annulation du mariage, le présent règlement ne devrait s’appliquer qu’à la dissolution du lien matrimonial et ne devrait pas concerner des questions telles que les causes de divorce, les effets patrimoniaux du mariage ou autres mesures accessoires éventuelles".
Quel texte appliquer alors à la compétence des juridictions françaises ?
La Cour de cassation vise ensuite le règlement (UE) n° 2016/1103 du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux.
Ce dernier a pour domaine matériel "l'ensemble des règles relatives aux rapports patrimoniaux entre époux et dans leurs relations avec des tiers, qui résultent du mariage ou de sa dissolution" selon l'article 3-1-2 du Règlement.
Pour autant, si nous sommes bien dans le domaine matériel du règlement ce dernier ne s'applique pas à l'espèce puisque selon l'article 69-1, le règlement "n’est applicable qu’aux instances engagées après le 29 janvier 2019". La Cour de cassation fait une juste application de ce règlement.
Il convient de noter que la Convention de La Haye du 14 mars 1978 en matière de régimes matrimoniaux n'avait pas vocation à s’appliquer puisque qu'elle ne comporte aucune règle de compétence internationale directe. Elle ne comporte que des règles de conflit de lois permettant de déterminer la loi applicable au régime matrimonial.
La Cour de cassation affirme "qu'en l’absence de convention internationale ou de règlement européen régissant la compétence internationale en matière de liquidation des intérêts patrimoniaux des époux, l’article 42 du code de procédure civile est applicable, par extension à l’ordre international des règles internes de compétence"
Elle fait une juste application de la jurisprudence Pelassa (Civ., 19 octobre 1959) et Scheffel
(Civ., 30 octobre 1962) qui reste applicable en l'absence de règlement européen et de convention internationale.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation illustre parfaitement les difficultés pour résoudre un litige international.
Elle recherche tout d'abord si un règlement européen ou une convention internationale s'applique. Elle en recherche le domaine matériel et temporel. A défaut de textes supra nationaux, elle fait application du droit international privé commun.
Cet arrêt met également en exergue le difficulté pratique que peut représenter un divorce international. En effet, une multitude de textes doivent être envisagé.
Ainsi pour un divorce "classique" avec demande de prestation compensatoire et présence d'enfants communs, il faudra rechercher les textes applicables à chaque demande, tant en ce qui concerne la compétence que la loi applicable.
Ainsi, en droit international privé, pour une demande en divorce d'une couple avec enfants, introduite aujourd'hui en France, il faut a minima que le juge et les avocats vérifient l'applicabilité des textes suivants
Demandes
Rupture du lien matrimonial
Compétence internationale : Règlement (CE) n° 2201/2003 Bruxelles II bis
Loi applicable : RÈGLEMENT (UE) N o 1259/2010 DU CONSEIL du 20 décembre 2010mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps (Règlement Rome III)
Prestation compensatoire
Compétence internationale et loi applicable : RÈGLEMENT (CE) no 4/2009 DU CONSEIL du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires
« Garde » des enfants
Compétence internationale : Règlement (CE) n° 2201/2003 Bruxelles II bis
Loi applicable : Convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, conclue le 19 octobre 1996
Pension alimentaire pour les enfants
Compétence internationale et loi applicable : RÈGLEMENT (CE) no 4/2009 DU CONSEIL du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires
Liquidation des intérêts patrimoniaux des époux
Si les époux se sont mariés après le 29 janvier 2019
Compétence internationale et loi applicable : Règlement (UE) n° 2016/1103 du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux .
Si les époux se sont mariés avant le 29 janvier 2019.
Compétence internationale : Extension à l'ordre international de articles 42 et s du Code de procédure civile.
Loi applicable : Pour les époux mariés à compter du 1er septembre 1992 : Application de la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux.
Pour les époux mariés avant le 1er septembre 1992 : application de la règle de conflit jurisprudentielle.
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