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Droit international privé

Actualité, Analyse et commentaire proposés par

Hélène Péroz

Professeure agrégée en droit privé et sciences criminelles à la faculté de droit de l'Université de Nantes

Of counsel  dans le cabinet d'avocats BMP et associés

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Photo du rédacteurheleneperoz

Décision étrangère refusant de donner effet à un contrat de mariage reçu en France et ordre public.


Civ. 1, 2 décembre 2020, n°18-20.691




M. E...-Z..., de nationalité française, et Mme I... , de nationalité russe et américaine, se sont mariés à Paris le 28 mai 1991 sous le régime de la séparation de biens, suivant contrat de mariage reçu par notaire le 21 mai. Ils se sont installés aux Etats-Unis où sont nés leurs deux enfants.


Mme I... a saisi les juges américains d’une requête en divorce. Par « Decision and Order » du 28 juin 2002, le juge Lobis a rejeté la demande de M. E...-Z... tendant à voir dire le contrat de mariage français valide et exécutoire et écarté l’application de ce contrat. Le juge Goodman a ensuite rendu une « Trial Decision » le 3 octobre 2003, puis un « Judgement of Divorce » le 9 janvier 2004, lequel a prononcé le divorce aux torts du mari, et entre autres statue sur la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux.


Par acte du 9 février 2005, Mme I... a saisi le tribunal de grande instance de Paris d’une demande d’exequatur des décisions américaines des 3 octobre 2003 et 9 janvier 2004 en leurs seules dispositions relatives aux pensions alimentaires. A titre reconventionnel, M. E...-Z... a demandé que soit déclaré inopposable en France le jugement du 28 juin 2002.


La Cour d'appel de Paris déclare opposable le jugement américain de 2002 écartant le contrat de mariage français.


Une décision étrangère refusant de faire produire effet à un contrat de mariage reçu en France peut-elle produire ses effets en France ?


Pour produire des effets, et en dehors de tout règlement européen et convention internationale applicables, la décision étrangère doit remplir trois conditions de régularité :


Cass., 1re civ., 20 février 2007,

Cornelissen


Mais attendu que, pour accorder l’exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure et l’absence de fraude à la loi.


Depuis l'arrêt Cornelissen, le juge de l'exequatur n'a plus à vérifier que la loi appliquée par le juge étranger est celle désignée par la règle de conflit de lois française. Cela est bien dommage car la décision aurait été irrégulière. En effet, le juge américain a appliqué la loi du for, soit la loi américaine alors que la règle de conflit de lois française applicable au moment du contrat de mariage conclu en 1991 désignait la loi française en tant que loi choisie par les époux.


Le pourvoi de M. E...-Z...se fonde donc sur la contrariété de la décision américaine à l'ordre public international français.


Tout d'abord, il invoque la violation de l'ordre public procédural.


La Cour de cassation relève en l'espèce l’absence de violation de l’ordre public international de procédure.


Ensuite, le pourvoi se fonde sur la violation de l'ordre public international de fond et soutient notamment "qu’un jugement étranger qui écarte, sans aucune raison, un acte authentique français, reçu par un officier public français au nom de la République française est nécessairement contraire à l’ordre public international français"


La Cour de cassation énonce clairement que


"Une décision rendue par une juridiction étrangère qui, par application de sa loi nationale, refuse de donner effet à un contrat de mariage reçu en France, n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français de fond et ne peut être écartée que si elle consacre de manière concrète, au cas d’espèce, une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels".


En l'espèce, "il résulte que le litige se rattachait pour l’essentiel aux Etats-Unis et que la décision étrangère, en appliquant la loi du for pour la liquidation des droits patrimoniaux des époux, n’avait pas consacré concrètement une situation incompatible avec les principes essentiels du droit français, la cour d’appel en a déduit à bon droit, écartant toute inconciliabilité, que ni le principe de la liberté des conventions matrimoniales, d’ordre public en droit interne, ni les objectifs de sécurité juridique et de prévisibilité invoqués, ne pouvaient faire obstacle à la reconnaissance en France des décisions américaines".


La Cour de cassation rappelle que l’appréciation de l'ordre public international se fait in concreto.


En l'espèce, la Cour d'appel avait relevé que pour répartir les biens communs à proportion de 75 % à l’épouse et 25 % au mari, le juge américain qui a procédé à la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux, selon le principe de « la distribution équitable » conformément au régime matrimonial en vigueur de l’Etat de New York, a tenu compte des revenus et charges des parties, des conséquences des choix communs faits pendant le mariage, ainsi que des éléments constants du train de vie des époux. Par conséquent, la situation n'était pas incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels.


Dans les pays de Common Law, la notion de « régime matrimonial » n'existe pas à proprement parler. La règle n'est donc pas le partage égalitaire des biens, mais le partage « équitable », en fonction des circonstances.


Reste que le contrat de mariage en la forme authentique n'est pas nul selon la loi française. Mais il est en contradiction avec un jugement étranger qui le déclare inapplicable. Lequel prime ? Dès lors que la décision étrangère est régulière, elle doit primer en France sur le contrat de mariage français.


Cette solution impose aux notaires français d'informer leur client du risque que leur contrat de mariage ne soit pas appliqué dans les pays de Common law. Il est clair que cela ne va pas favoriser la prévisibilité et la sécurité juridique des époux, même si la Cour de cassation considère que ces objectifs ne peuvent faire obstacle à la reconnaissance en France des décisions américaines.

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