Conseil d'Etat, 31 juillet 2019, n° 411984
Le fait d'avoir eu recours à la GPA prive-t-il les enfants qui en sont issus de l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française du père ?
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechExpJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000038860046&fastReqId=922215383&fastPos=1
M. A. D, australien est marié avec M. C. B. Dans le cadre de conventions de gestation pour autrui conclues dans l'Etat du Colorado (États-Unis d'Amérique), ils sont devenus les parents de deux enfants, Montgomery Ann et Lyndon Tracey Lee, nés respectivement le 27 avril 2014 et le 7 mars 2016 dans cet Etat. La filiation des enfants a été déclarée avant leur naissance par une ordonnance de parenté rendue par le juge américain qui prévoyait que l'enfant devrait se voir délivrer un certificat de naissance indiquant que M. D...et M. B...sont légalement les pères de l'enfant et que ce certificat ne devrait comporter aucun nom pour la mère. Des certificats de naissance ainsi rédigés ont été délivrés par les autorités américaines. Les deux enfants résident en France avec M. D...et M.B.
En juin 2015, M. D présente une demande d'acquisition de la nationalité française par naturalisation. Il demande également le bénéfice de l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française au profit des enfants.
Un décret en date du 25 avril 2017 a naturalisé M. A...D...sans mention des deux enfants.
Le 2 mai 2017 le ministre de l'intérieur rend une décision dans laquelle il rejette explicitement la demande tendant à ce que soit accordé aux enfants le bénéfice de l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française et que le décret de naturalisation soit modifié en ce sens.
Devant le Conseil d'Etat, plusieurs articles du Code civil sont visés.
Tout d'abord, les articles 21-15 et 22-1 du Code civil concernant la nationalité française qui exigent que le nom des enfants soit mentionné dans le décret de naturalisation du parent.
Ensuite, l'article 47 du Code civil sur la force probante en France des actes d'état civil étranger.
Enfin, les article 16-7 et 16-9 Code civil sur la prohibition d'ordre publique de la gestation pour autrui.
La question posée devant le conseil d'Etat est la suivante : Le fait d'avoir eu recours à la GPA prive-t-il les enfants qui en sont issus de l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française du père ?
La question est nouvelle, car les difficultés liées à la GPA sont généralement celles de parents français qui veulent retranscrire les actes d'état civil des enfants en France.
La réponse du Conseil d'Etat est intéressante à plus d'un titre.
"Si le ministre chargé des naturalisations pouvait, dans l'exercice du large pouvoir d'appréciation dont il dispose en la matière, refuser de faire droit à la demande de naturalisation de M. D...en prenant en considération la circonstance que celui-ci avait eu recours à la gestation pour le compte d'autrui, prohibée en France par les dispositions citées ci-dessus du code civil, une telle circonstance ne pouvait en revanche, alors qu'il n'est pas soutenu que les actes d'état civil des deux enfants, établis selon la loi applicable aux faits dans l'Etat du Colorado, seraient entachés de fraude ou ne seraient pas conformes à cette loi, conduire à priver ces enfants de l'effet qui s'attache en principe, en vertu de l'article 22-1 du code civil, à la décision de naturaliser M.D..., sans qu'il soit porté une atteinte disproportionnée à ce qu'implique, en termes de nationalité, le droit au respect de leur vie privée, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales".
Ainsi, le Ministre chargé des naturalisations aurait pu refuser l'acquisition de la nationalité française de M. D car il a eu recours à la GPA qui est interdite en France.
En revanche, à partir du moment où la nationalité française a été acquise par le père, les enfants issus de la GPA doivent bénéficier de l'effet collectif.
Une condition semble être cependant exigée. Il faut que les actes d'état civil des enfants ne soient pas entachés de fraude et soit conforme à loi applicable. En l'espèce, la question n'a pas été soulevée. Il est intéressant de noter que le Conseil d'Etat ne raisonne pas en terme de force probante des actes d'état civil étranger (article 47 du Code civil) comme le fait la Cour de cassation. Il raisonne en terme de loi applicable et de fraude.
Ainsi, selon le Conseil d'état, c'est la loi applicable aux faits de l'Etat du Colorado qui devait être respectée. Notons, que le conseil d'Etat ne passe pas par le règle de conflit de lois en matière de filiation !!! Il aurait du appliquer l'article 311-14 du Code civil qui désigne la loi nationale de la mère. Or, celle-ci n'apparaît pas dans l'acte de naissance. A défaut du mère, c'est la loi nationale de l'enfant. Ainsi, il n'était pas certain que ce soit la loi du Colorado qui soit applicable, sauf si les enfants ont la nationalité américaine.
Concernant la fraude, on peut s’interroger. Est-ce une fraude à la loi applicable à la filiation ou est-ce une fraude à la loi française ?
Quoiqu'il en soit, les enfants nés de GPA doivent bénéficier de l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française du père. Reste que la Conseil d'Etat indique clairement que le fait d'avoir recours à la GPA alors qu'elle est prohibée en France pourrait être un motif de refus à la naturalisation du parent.
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