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Droit international privé

Actualité, Analyse et commentaire proposés par

Hélène Péroz

Professeure agrégée en droit privé et sciences criminelles à la faculté de droit de l'Université de Nantes

Of counsel  dans le cabinet d'avocats BMP et associés

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  • Photo du rédacteurheleneperoz

Loi applicable au régime matrimonial. Accord procédural au bénéfice de la loi française. Admission

Dernière mise à jour : 18 févr. 2021


Civ. 1, 10 février 2021, n°19-17.028




M. K... et de Mme Y..., tous deux de nationalité portugaise se sont mariés en France sans contrat préalable.

Un jugement prononce leur divorce en 2002 et ordonne la liquidation de la communauté ayant existé entre les époux.


Des difficultés s’étant élevées pour la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux, un jugement irrévocable du 21 décembre 2012 a statué sur la composition de la communauté de biens existant entre eux et renvoyé les copartageants devant un notaire pour établir l’acte constatant le partage.


Par acte du 27 novembre 2013, M. K... a assigné Mme Y... aux fins de voir dire que la loi applicable à leur régime matrimonial est la loi portugaise et, en conséquence, que celui-ci est la séparation de biens.


Se posait donc la question de la loi applicable au régime matrimonial des époux portugais marié en France sans contrat de mariage.


La difficulté de cet arrêt est que l'on ne connait pas la date du mariage. Or, c'est cette dernière qui permet de déterminer la règle de conflit applicable au régime matrimonial.


Si les époux se sont mariés avant le 1er septembre 1992 s'applique alors la jurisprudence Goutherz (Civ. 1, 1 février 1972) et Zelcer (Req. 4juin 1935).


Si les époux se sont mariés après le 1er septembre 1992 s'applique alors la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable au régime matrimonial.


Ce qui est certain ce que n'était pas applicable le Règlement européen n°1103/2016 puisque les époux étaient mariés avant le 29 janvier 2019.


Mais dans cet espèce, peu importe.


En effet, la Cour de cassation a considéré que la loi française s'appliquait au régime matrimonial suite à un accord procédural des époux par lequel ils ont renoncé à l'application de la règle de conflit de lois.


Selon la Cour de cassation : "Pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent, par un accord procédural qui peut résulter de conclusions concordantes sur ce point, choisir, pour régir une situation juridique déterminée, la loi française du for et évincer celle désignée par la règle de conflit applicable".


La renonciation à l'application de la règle de conflit de lois a été admis par la Cour de cassation (notamment Soc. Hannover, Civ. 1, 6 mai 1997).


Cette renonciation trouve son fondement dans l'article 12 alinéa 3 du Code de procédure civile qui prévoit que


Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.

Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat.


Plusieurs conditions doivent alors être réunies :


Les parties doivent avoir la libre disposition de leur droit. Il nous semble bien que c'est la première fois que la Cour de cassation précise que la détermination du régime matrimonial relève des droits disponibles.


La solution n'est pas en soi choquante car les régimes matrimoniaux sont soumis en principe à la loi d'autonomie.


En revanche les conséquences sont plus critiquables. En effet, lorsque les parties ont la libre disposition de leur droit, le juge n'est pas obligé d’appliquer d'office la règle de conflit de lois (Soc. Mutuelle du Mans, Civ. 1, 26 mai 1999). Ainsi, si aucune des parties n'invoque l'application d'une loi étrangère, le juge n'est pas obligé d'appliquer la règle de conflit de lois.


Le renonciation doit être expresse. Si l'on s'en tient au texte de l'article 12 alinéa 3 du Code de procédure civile, la renonciation doit résulter d'un accord exprès. Or en droit international privé, la Cour de cassation a admis que la renonciation pouvait être implicite et résulter des conclusions des parties (Karl Ibold GmbH, Civ. 1, 1er juillet 1997).


La Cour de cassation dans cet arrêt a appliqué cette jurisprudence. Elle relève "qu’au cours de la procédure tendant à la liquidation et au partage de leurs intérêts patrimoniaux, M. K... et Mme Y..., chacun assisté par un avocat, ont tous deux conclu au regard des codes civil et de procédure civile français. Il en déduit que les deux parties ont entendu soumettre la détermination et la liquidation de leur régime matrimonial à la loi française".


Que pensez de cette décision ?


Certes, la Cour applique au régime matrimonial une jurisprudence établie. Mais nous émettons fortement des doutes quant à son opportunité pour plusieurs raisons.

Des époux mariés sans contrat n'ont pas forcément conscience du régime matrimonial auquel ils se soumettent et encore moins du caractère international et donc de la règle de conflit de lois applicables.

Enfin, il n'est pas certain que la renonciation à une règle de conflit de lois soit encore possible si c'est un règlement européen qui s'applique (ce qui n'était pas le cas en l'espèce). Certes, la Cour de cassation a abandonné le critère d'application d'office de la règle de conflit de lois lorsque celle-ci dépendait d'une norme supra nationale. Mais l’européanisation du droit international privé va plus loin. L'objectif des règlements européens est d'assurer la sécurité juridique et la prévisibilité. Quelle sécurité y a t'il lorsque par simple jeu de conclusions on renonce à l'application d'une règle de conflit de lois sans s'assurer que les parties avaient conscience du caractère international de leur situation ?


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