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Droit international privé

Actualité, Analyse et commentaire proposés par

Hélène Péroz

Professeure agrégée en droit privé et sciences criminelles à la faculté de droit de l'Université de Nantes

Of counsel  dans le cabinet d'avocats BMP et associés

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Règlement Bruxelles I bis. Clause attributive de juridiction asymétrique. Licéité. Critère autonome d’interprétation.

Photo du rédacteur: heleneperozheleneperoz

 

CJUE, 27 février 2025, Aff. C‑537/23, Società Italiana Lastre SpA (SIL) contre Agora SARL

 

      

Pour la réalisation d’un ouvrage commandé par deux personnes physiques, en tant que maîtres d’ouvrage, Agora a conclu un contrat portant sur la fourniture de panneaux de bardage avec SIL.


Ce contrat de fourniture comportait une convention attributive de juridiction qui stipulait que la compétence du tribunal de Brescia [(Italie)] s’appliquera à tout litige qui surgirait du présent contrat ou qui aurait un rapport avec ce dernier, SIL se réservant la faculté de procéder à l’égard de l’acheteur devant un autre tribunal compétent en Italie ou à l’étranger».

 

A la suite d’irrégularités dans l’exécution de l’ouvrage en cause, les maîtres d’ouvrage ont, aux mois de novembre 2019 et de janvier 2020, assigné notamment Agora et SIL en responsabilité et en indemnisation devant le tribunal de grande instance de Rennes (France).

 

Agora a appelé SIL en garantie. Sur le fondement de la convention attributive de juridiction en cause, SIL s’est opposé à cette demande de garantie en soulevant une exception d’incompétence internationale de la juridiction française.

 

Les juridictions françaises rejettent l’exception de compétence au motif que la convention attributive de juridiction en cause était illicite puisqu’ elle donnait à SIL un plus grand choix de juridictions à saisir qu’à Agora


SIL a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant la Cour de cassation, la juridiction de renvoi. SIL fait valoir que la cour d’appel de Rennes a violé l’article 25-1 du règlement n°1215/2012 Bruxelles I bis, dès lors que la validité d’une convention attributive de juridiction devrait être appréciée au regard du droit de l’État membre dont les juridictions sont désignées en vertu de celle-ci et, partant, en l’occurrence, au regard du droit italien, et non pas du droit français.        

 

SIL a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant la Cour de cassation (France), la juridiction de renvoi. SIL fait valoir que la cour d’appel de Rennes a violé l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, dès lors que la validité d’une convention attributive de juridiction devrait être appréciée au regard du droit de l’État membre dont les juridictions sont désignées en vertu de celle-ci et, partant, en l’occurrence, au regard du droit italien, et non pas du droit français.

 

La Cour de cassation saisit la CJUE de questions préjudicielles portant sur le droit applicable à la validité d’une clause attributive de juridiction asymétrique déséquilibrée.




En effet, selon l’article 25 1° du règlement de Bruxelles I bis :


1.   Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties.


La question de la validité de la clause attributive asymétrique relève-t-elle des règles autonomes tirées de l'article 25, § 1 ou relève-t-elle de la validité au fond de la clause et donc du droit de l’Etat membre désigné par la clause ?


La Cour de cassation s’interroge également sur la notion de conditions de validité au fond de la clause.


 

La Cour de justice de l’Union européenne répond aux questions en deux temps  :

 

L’article 25, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que : dans le cadre de l’appréciation de la validité d’une convention attributive de juridiction, les griefs tirés du caractère prétendument imprécis ou déséquilibré de cette convention doivent être examinés non pas au regard des critères relatifs aux causes de « nullité quant au fond » de cette convention, définis par le droit des États membres conformément à cette disposition, mais à l’aune de critères autonomes qui se dégagent de cet article.


L’article 25, paragraphes 1 et 4, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que : une convention attributive de juridiction en vertu de laquelle l’une des parties à celle-ci ne peut saisir que le seul tribunal qu’elle désigne, tandis qu’elle permet à l’autre partie de saisir, outre ce tribunal, toute autre juridiction compétente, est valide, dans la mesure où, premièrement, elle désigne les juridictions d’un ou de plusieurs États qui sont soit membres de l’Union européenne soit parties à la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007, et dont la conclusion a été approuvée, au nom de la Communauté européenne, par la décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008, deuxièmement, elle identifie des éléments objectifs suffisamment précis pour permettre au juge saisi de déterminer s’il est compétent et, troisièmement, elle n’est pas contraire aux dispositions des articles 15, 19 ou 23 de ce règlement et ne déroge pas à une compétence exclusive au titre de l’article 24 de celui-ci

 

Selon la CJUE  le règlement Bruxelles I bis ne définit pas la notion de « nullité quant au fond » ni ne procède à un renvoi au droit des États membres pour définir cette notion. Par conséquent, il en découle une interprétation autonome et uniforme de cette notion.


Elle relève que l’article 25 -1, du règlement Bruxelles I bis se réfère non seulement à la notion de « nullité quant au fond », mais prévoit également des conditions de validité propres aux conventions attributives de juridiction, tant sur le plan matériel, que formel.


Par conséquent, la CJUE considère que la notion de « nullité quant au fond » vise les causes générales de nullité d’un contrat, à savoir notamment les vices de consentement, tels que l’erreur, le dol ou la violence, et l’incapacité de contracter, causes qui sont par le droit de l’État membre dont les juridictions sont désignées.


En revanche la validité d’une convention attributive de juridiction au regard de son caractère prétendument déséquilibré doit être examinée au regard non pas des critères relatifs aux causes de « nullité quant au fond », au sens de l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du règlement Bruxelles I bis, mais de critères autonomes qui se dégagent de cet article 25, tel qu’interprété par la Cour.


Alors qu’en est-il de la validité de la clause attributive de juridiction asymétrique selon l’interprétation autonome de la CJUE ?


La CJUE considère que concernant la validité d’une convention attributive de juridiction conférant plus de droits à une partie qu’à l’autre, sauf dans les cas expressément interdits par le règlement Bruxelles I bis, le caractère déséquilibré d’une telle convention n’est pas de nature à remettre en cause sa validité sur la base des exigences énoncées à l’article 25 de ce règlement.


Il est intéressant de relever que pour justifier l'absence d'illicéité de la clause, le CJUE se réfère aux règles spéciales concernant les contrats d’assurance, de consommation et de travail qui sont caractérisés par un certain déséquilibre entre les parties, le règlement visant à corriger ce déséquilibre en faisant bénéficier la partie plus faible de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales.


Or force est de constater qu'en l'espèce il n'y avait pas de partie faible. C'est donc sur le principe de l'autonomie de la volonté que se fonde la CJUE pour valider une clause attributive de juridiction asymétrique.


Selon la Cour, l’article 25 du règlement Bruxelles I bis est fondé sur le principe de l’autonomie de la volonté des parties. Il doit être déduit du considérant 19 du règlement Bruxelles I bis que le législateur de l’Union a entendu privilégier le respect de ce principe, de sorte qu’il convient de se conformer au choix des parties, sous réserve des exceptions établies à l’article 25, paragraphe 4...


Selon le considérant 19 du règlement de Bruxelles I bis :


L'autonomie des parties à un contrat autre qu’un contrat d’assurance, de consommation et de travail pour lequel n’est prévue qu’une autonomie limitée quant à la détermination de la juridiction compétente devrait être respectée sous réserve des fors de compétence exclusifs prévus dans le présent règlement.

 

Ainsi, comme le relève la CJUE, le caractère déséquilibré d’une telle convention ne la rend pas pour autant illicite, si les parties ont librement consenti à celle-ci.

 

 

 

 
 
 

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