CJUE, 16 février 2023, affaire C‑393/21, Lufthansa Technik AERO Alzey GmbH
Le 14 juin 2019, l’Amtsgericht Hünfeld (tribunal de district de Hünfeld, Allemagne) a émis une injonction de payer à l’égard d’Arik Air en vue du recouvrement d’une créance de 2.292.993,32 euros au bénéfice de Lufthansa. Sur le fondement de cette injonction, cette juridiction a délivré, le 24 octobre 2019, un titre exécutoire européen et, le 2 décembre 2019, un certificat de titre exécutoire européen.
Un huissier de justice exerçant en Lituanie a été saisi par Lufthansa afin qu’il exécute ce titre exécutoire conformément à ce certificat.
Arik Air a saisi les juridictions allemandes d’une demande de retrait de certificat de titre exécutoire européen. Parallèlement Arik Air a présenté à l’huissier de Lithuanie une demande de suspension de la procédure d’exécution jusqu’à ce que la juridiction allemande statue à titre définitif sur la demande de retrait du certificat de titre exécutoire européen.
L’huissier a refusé de faire droit à cette demande de suspension, en considérant que la réglementation nationale pertinente ne prévoyait pas la possibilité de demander une suspension fondée, comme en l’occurrence, sur le fait qu’une juridiction de l’État membre d’origine a été saisie d’un recours contre la décision à exécuter.
Arik Air saisit les tribunaux Lituaniens d’un recours contre la décision de l’huissier refusant de suspendre cette procédure d’exécution.
La Cour suprême de Lituanie saisit la CJUE de plusieurs questions préjudicielles.
Elle s’interroge, tout d’abord, sur la portée, les conditions d’application et l’étendue du contrôle opéré par les juridictions de l’État membre d’exécution au titre de l’article 23, sous c), du règlement no 805/2004 relatif à la suspension d’exécution.
Elle se demande également si eu égard à l’emploi de la conjonction « ou » figurant entre les différentes mesures prévues à l’article 23 du règlement n°805/2004 que la juridiction de l’État membre d’exécution peut adopter en vue de suspendre ou de limiter l’exécution, s’il est possible d’appliquer simultanément plusieurs de ces mesures.
Enfin, elle s’interroge sur le point de savoir, dans le silence du règlement n°805/2004 si la suspension de la force exécutoire d’une décision juridictionnelle dans l’État membre d’origine devrait conduire à suspendre automatiquement l’exécution de cette décision dans un autre État membre ou si une décision des autorités compétentes de l’État membre d’exécution est nécessaire à cette fin.
Le Règlement (CE) n° 805/2004 du 21 avril 2004 a eu pour objet de créer un titre exécutoire européen pour les créances incontestées en vue, grâce à l'établissement de normes minimales, d'assurer la libre circulation des décisions, des transactions judiciaires et des actes authentiques dans tous les États membres, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une procédure intermédiaire dans l'État membre d'exécution préalablement à la reconnaissance et à l'exécution.
Ainsi, une décision n’a plus besoin d’exequatur pour être exécutée dans un Etat requis. Il suffit qu’elle obtienne dans son Etat d’origine un certificat de titre exécutoire européen qui circule dans tous les Etats membres.
L’article 23 du règlement n°805/2004 portant sur la suspension ou la limitation de l'exécution prévoit
Lorsque le débiteur a:
- formé un recours à l'encontre d'une décision certifiée en tant que titre exécutoire européen, y compris une demande de réexamen au sens de l'article 19, ou
- demandé la rectification ou le retrait d'un certificat de titre exécutoire européen conformément à l'article 10,
la juridiction ou l'autorité compétente dans l'État membre d'exécution peut, à la demande du débiteur
a) limiter la procédure d'exécution à des mesures conservatoires; ou
b) subordonner l'exécution à la constitution d'une sûreté qu'elle détermine; ou
c) dans des circonstances exceptionnelles, suspendre la procédure d'exécution
Il convient donc d’interpréter la notion de « circonstances exceptionnelles » visées à l’article 23 sous c.
La CJUE prévoit que la notion de « circonstances exceptionnelles », vise une situation dans laquelle la poursuite de la procédure d’exécution d’une décision certifiée en tant que titre exécutoire européen exposerait ce débiteur à un risque réel de préjudice particulièrement grave dont la réparation serait, en cas d’annulation de ladite décision ou de rectification ou retrait du certificat de titre exécutoire, impossible ou extrêmement difficile.
Sur le fait de savoir si les mesures prévues à l’article 23 peuvent se cumuler, la CJUE répond que l’article 23 permet l’application simultanée des mesures de limitation et de constitution d’une sûreté qu’il prévoit à ses points a) et b), mais non pas l’application simultanée d’une de ces deux mesures avec celle de suspension de la procédure d’exécution visée à son point c).
Enfin, reste à déterminer si la suspension de la force exécutoire d’une décision juridictionnelle dans l’État membre d’origine doit ou non conduire à suspendre automatiquement l’exécution de cette décision, la CJUE répond que lorsque le caractère exécutoire d’une décision certifiée en tant que titre exécutoire européen a été suspendu dans l’État membre d’origine et que le certificat prévu à cet article 6, paragraphe 2, a été présenté à la juridiction de l’État membre d’exécution, cette juridiction est tenue de suspendre, sur la base de cette décision, la procédure d’exécution engagée dans ce dernier État.
Voici donc des précisions utiles sur la suspension de l’exécution d’un certificat de titre exécutoire européen.
Il faut noter que depuis 2015 et l’application du Règlement n°1215/2012 Bruxelles I bis, une décision en matière civile ou commerciale rendue dans un État membre et qui est exécutoire dans cet État membre jouit de la force exécutoire dans les autres États membres sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire. L’exequatur est donc également supprimé.
Cependant ces deux règlements répondent à des règles différentes. En effet, si dans le cadre du Règlement n° 805/2004 du 21 avril 2004 l’État de l'exécution ne peut pas exercer de contrôle de la régularité internationale de la décision étrangère, tel n’est pas le cas dans le Règlement n°1215/2012 Bruxelles I bis. Ainsi, dans le règlement Bruxelles I bis le refus d’exécution peut se fonder sur l’absence de régularité de la décision (art. 46).
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