CJUE, 8 décembre 2022, affaire C‑731/21
Les faits sont relativement simples.
Deux français ont conclu en France un partenariat enregistré. L'un d'eux travaille au Luxembourg. Suite à un accident de travail mortel, le partenaire survivant demande une pension de survie auprès de la caisse nationale d’assurance pension (Luxembourg). Celle-ci lui est refusé car le partenariat enregistré en France n’avait pas été inscrit au répertoire civil luxembourgeois du vivant des deux parties contractantes et qu’en conséquence, il n’était pas opposable aux tiers.
La Cour de cassation luxembourgeoise saisit la CJUE d'une question préjudicielle :
Elle demande si l'exigence d'inscription d'un partenariat conclu dans un Etat membre dans le pays d’accueil de l'activité professionnelle est contraire au droit de l'Union européenne, sachant que cette inscription n'est pas exigée pour les partenariats conclus dans ce pays d’accueil.
Plus simplement, les partenariats conclus au Luxembourg permettait l’octroi de la pension de survie sans aucune procédure alors qu'un partenaire enregistré en France ne permettait l'octroi de cette pension au Luxembourg qu'à la condition d'être inscrit sur un répertoire civil.
C'est donc la question de la libre circulation des partenariats enregistrés pour les travailleurs transfrontaliers de l'Union européenne qui est posée.
La Cour de justice de l'Union européenne répond en ce référant au principe de la libre circulation des travailleurs.
Elle considère que la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, doit être interprété en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation d’un État membre d’accueil qui prévoit que l’octroi, au partenaire survivant d’un partenariat valablement conclu et inscrit dans un autre État membre, d’une pension de survie, due en raison de l’exercice dans le premier État membre d’une activité professionnelle par le partenaire défunt, soit subordonné à la condition de l’inscription préalable du partenariat dans un répertoire tenu par ledit État.
La CJUE prévoit donc la libre circulation des partenariats enregistrés pour les travailleurs transfrontaliers de l'Union européenne.
Posons nous maintenant la question de la portée de cet arrêt.
Certes, l'arrêt concerne les travailleurs transfrontaliers et la réponse se fonde sur le libre circulation des travailleurs.
Peut on aller plus loin et envisager la libre circulation des partenariats enregistrés dans l'Union européenne dans tous les Etats membres en dehors du paramètre limité des travailleurs transfrontaliers ?
Cela nous semble tout à fait envisageable pour plusieurs raisons
La première est le règlement n°1104/2016 sur les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés. Les effets patrimoniaux compris dans des actes publics sont reconnus de plein droit dans les Etats membres participants (art. 36 et 56).
Il est alors peu cohérent, que le partenariat en lui même soit subordonné à une procédure quelconque de reconnaissance dans le pays d’accueil alors même que ses effets patrimoniaux le sont pas. Pour rappel le Luxembourg est un Etat participant à la coopération renforcée ayant donné lieu au Règlement n°1104/2016.
Certes, l'article 1-b du règlement n°1104/2016 prévoit qu'est exclu du domaine du règlement
" l’existence, la validité ou la reconnaissance d’un partenariat enregistré".
La question de la validité, de l'existence ou de la reconnaissance du partenariats relève des droits nationaux. En France, ils relèvent de la règle de conflit comprise à l'article 515-7-1 du Code civil.
Mais là n'est pas la question. Il s'agit ici de la libre circulation du partenariat enregistré dans l'Union européenne. Tout autre est la question de son existence ou sa validité qui dépend d'une règle de conflit de lois nationale.
La deuxième raison est la décision de la CJUE du 14 décembre 2021 (affaire C‑490/20. Notre analyse : https://www.hélènepéroz.fr/post/acte-d-%C3%A9tat-civil-%C3%A9tablissant-un-lien-de-filiation-%C3%A0-l-%C3%A9gard-de-parents-de-m%C3%AAme-sexe-dans-l-ue).
Dans cet arrêt de 2021, la CJUE a affirmé que " en l’état actuel du droit de l’Union, l’état des personnes, dont relèvent les règles relatives au mariage et à la filiation, est une matière relevant de la compétence des États membres et le droit de l’Union ne porte pas atteinte à cette compétence. Les États membres sont ainsi libres de prévoir ou non, dans leur droit national, le mariage pour des personnes de même sexe ainsi que la parentalité de ces dernières. Toutefois, dans l’exercice de cette compétence, chaque État membre doit respecter le droit de l’Union et, en particulier, les dispositions du traité FUE relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres, en reconnaissant, à cette fin, l’état des personnes établi dans un autre État membre conformément au droit de celui-ci "
Le partenariat enregistré entre pleinement dans l'état des personnes, au même titre que le mariage.
Il s'agit donc de la question de la reconnaissance de l'état des personnes au sein de l'Union européenne. Refuser de reconnaitre un partenariat enregistré dans un autre Etat membre ou lui imposer des règles d'opposabilité qui ne sont pas exigées pour les nationaux remet en cause la libre circulation des personnes et des travailleurs au sein de l'Union européenne.
Au vu de ces dernières jurisprudences, on peut considérer que l'on va vers une libre circulation dans l'Union européenne du statut personnel des citoyens.
La troisième raison est que la libre circulation du statut personnel au sein de l'Union européenne est déjà grandement facilitée avec le Règlement européen n°2016/1191. Ce dernier prévoit que les actes publics établis dans l'Union européenne concernant la statut personnel (art. 2) ne sont plus soumis à une légalisation ou une apostille dans les Etats membres.
Nous verrons si l'avenir nous donne raison.
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