Civ. 1, 14 novembre 2024, n° 23-50.016
La Cour suprême de la province de Colombie-Britannique (Canada) du 1er février 2021 dit que Mme [S] est le seul parent de l'enfant [E], né le 8 décembre 2019 en Colombie-Britannique (Canada), à la suite d'une convention de gestation pour autrui conclue entre Mme [S] et Mme [U], l'enfant étant conçu avec les gamètes de deux tiers donneurs, et que Mme [S] détiendra sa garde exclusive et l'ensemble des droits et responsabilités parentaux à son égard.
Mme S demande l’exequatur en France de la décision canadienne et demande à ce que cette dernière produise les effets d'une adoption plénière.
Le tribunal puis la Cour d’appel octroi l’exequatur à la décision canadienne.
Le procureur général forme un pourvoi en cassation en visant l’article 16-4 du Code civil et soutient que la décision canadienne est contraire à l’ordre public international français.
Cet arrêt est d’une importance fondamentale puisque c’est la première fois que la Cour de cassation statue sur la conformité d’une GPA obtenue à l’étranger avec l’ordre public international français.
En effet, la question des effets des GPA effectuées à l’étranger a été dans un premier temps résolue par le biais de la transcription en France des actes de l’état civil étranger. Or, la loi bioéthique du 4 août 2021 a ajouté une exigence dans l’article 47 du Code civil en imposant que la réalité soit celle de la loi française. Or, la mère d’intention n’est jamais celle qui accouche dans le cadre d’un GPA.
Ce n’est donc que par l’intermédiaire de l’exequatur qu’une GPA effectuée à l’étranger peut dorénavant produire des effets en France.
La Cour de cassation a opéré un virage dans deux décisions en date du 2 octobre 2024 laissant apparaître une évolution dans l’accueil en France des décisions étrangères.
Dans notre arrêt, la Cour de cassation se dévoile et affirme que : « Aucun principe essentiel du droit français n'interdisant la reconnaissance en France d'une filiation établie à l'étranger qui ne correspondrait pas à la réalité biologique, l'ordre public international français ne saurait faire obstacle à l'exequatur d'une décision établissant la filiation d'un enfant né à l'étranger à l'issue d'un processus de gestation pour autrui au seul motif que le parent concerné n'aurait pas de lien biologique avec l'enfant ».
Elle précise cependant, comme elle l’a fait auparavant, que la décision étrangère reconnue ne produit pas les effets d’une adoption plénière mais les effets qui lui sont attachés conformément à la loi applicable à chacun de ces effets. (Déjà 2 octobre 2024 ; https://www.hélènepéroz.fr/post/une-d%C3%A9cision-%C3%A9trang%C3%A8re-relative-%C3%A0-une-gpa-ex%C3%A9cutoire-en-france-ne-produit-pas-les-effets-d-une-adopt )
Ainsi, elle casse la décision sur la seule assimilation de la GPA opérée à l’étranger à une adoption plénière mais reconnait la régularité internationale du jugement.
Ainsi, une GPA obtenue à l’étranger n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français.
La Cour de cassation motive abondamment sa décision.
Elle vise tout d’abord l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et notamment l’avis consultatif de la CEDH 10 avril 2019, n° 16-2018-001 et l’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 4 octobre 2019, pourvoi n°10-19.053.
La référence a cet avis et cet arrêt ne nous semble pas pertinente car la question concernait la transcription des actes d’état civil dont l’ordre public n’est pas une condition, et non pas la régularité d’une décision.
Ensuite, elle affirme qu’ aucun principe essentiel du droit français n'interdit la reconnaissance en France d'une filiation établie à l'étranger qui ne correspondrait pas à la réalité biologique.
Elle vise les différents modes d'établissement de la filiation du droit français qui ne reposent pas sur la vérité biologique en droit français, notamment la PMA ouverte aux couples de femmes.
C’est faire fi de la nature conventionnelle et de la contrepartie financière de la GPA.
La Cour de cassation justifie sa décision en visant son arrêt du 2 octobre 2024, n°22-20.88 qui considère que le juge de l'exequatur doit être en mesure, à travers la motivation de la décision ou les documents de nature à servir d'équivalent qui lui sont fournis, d'identifier la qualité des personnes mentionnées qui ont participé au projet parental d'autrui et de s'assurer qu'il a été constaté que les parties à la convention de gestation pour autrui, en premier lieu la mère porteuse, ont consenti à cette convention, dans ses modalités comme dans ses effets sur leurs droits parentaux ( https://www.hélènepéroz.fr/post/exigence-de-motivation-d-une-d%C3%A9cision-%C3%A9trang%C3%A8re-relative-%C3%A0-un-gpa-pratiqu%C3%A9e-dans-un-autre-pays ).
Enfin, elle estime que la circonstance que la décision canadienne établisse la filiation d'un enfant ne présentant aucun lien biologique avec la mère porteuse et la mère d'intention ne suffisait pas à caractériser l'existence d'une fraude à l'adoption internationale dont il n'était pas précisé quelles règles auraient été contournées.
Concernant la violation des règles de l’adoption internationale, celle-ci nous semble flagrante. En effet, la Cour de cassation relève que la mère porteuse a renoncé à tous ses droits parentaux en transférant ces droits aux termes d'un consentement signé après la naissance de l'enfant à la mère d’intention. Elle occulte donc le fait que la convention de mère porteuse ait été conclue avant la naissance de l’enfant. Or, selon l’article 4 de la Convention de La Haye, le consentement de la mère ne doit être donné qu'après la naissance de l'enfant.
Surtout, la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale prévoit dans son article 4 que le consentement à l’adoption ne doit pas être obtenu moyennant paiement ou contrepartie d'aucune sorte.
Enfin, la Cour de cassation n’aborde pas la question de la fraude, condition de régularité qui consiste en la manipulation des règles de droit international privé. En l’espèce, il s’agit d’obtenir à l’étranger, ce qu’on ne peut obtenir en France. Or, les parents d’intention français ne pourraient pas conclure une GPA en France qui est d’ordre public interne en application de l’article 16-7 du Code civil. C’est par l’intermédiaire de l’ordre public international atténué qu’ils peuvent l’obtenir à l’étranger, ce qu’Ibrahim FADLALLAH a appelé la fraude à l’intensité de l’ordre public.
Ainsi, la Cour de cassation renforce le tourisme procréatif. Il faut espérer que le projet de convention de La Haye sur les conventions de maternité de substitution à caractère international mette un frein au tourisme procréatif en interdisant son caractère onéreux. Ainsi, tout comme l’adoption internationale, la gestation pour autrui pourrait être reconnue si la convention « n'a pas été obtenue moyennant paiement ou contrepartie d'aucune sorte».
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